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Jeunesse - Les doss
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Jeunesse

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7 Nov 2023

Une enquête de l’IFOP pour Cop1, association d’aide aux étudiants, indique que 36 % d’entre eux se privent régulièrement d’un repas par manque d’argent. Un chiffre qui monte à 58 % pour ceux inscrits à l’aide alimentaire. 39 % des étudiants ont renoncé à se chauffer l’hiver passé. Un geste qui monte à 61 % chez les bénéficiaires de Cop1. La pauvreté des étudiants s’aggrave dans des proportions alarmantes. Sans emploi stable, ils ont été peu aidés durant la crise de la COVID. L’inflation les a touchés beaucoup plus durement que la moyenne de la population, du fait de leurs budgets déjà réduits, largement consacrés à l’alimentaire et au logement.

La FAGE, créée en 1989, regroupe plus de 2000 associations étudiantes et dépasse les 300000 inscrits. En 2011, elle crée les AGORAé, des épiceries solidaires pour les étudiants précaires. Ces épiceries, gérées par des bénévoles d’associations locales, devaient répondre à l’urgence. Début octobre, ils ont inauguré la 40ᵉ AGORAé en France. Pas forcément une bonne nouvelle.

Sarah Biche, vice-présidente, en charge des affaires sociales de la FAGE, est au cœur de ces initiatives. Elle nous répond sur les apports de ce projet, mais aussi sur ce que l’existence de ces épiceries implique.

Bonjour, Sarah Biche. Concrètement, qu’est-ce qui caractérise un étudiant précaire en 2023 ?
SB : Un étudiant précaire peut être un étudiant qui est dans une situation très urgente, mais c’est aussi parfois un étudiant qui n’a pas de quoi s’acheter du matériel, un étudiant qui est obligé de travailler pour vivre. C’est un étudiant qui va louper toute la partie autre que l’enseignement universitaire. 
La vie universitaire, ce n’est pas qu’un lieu de formation, c’est aussi un lieu d’émancipation, de culture intellectuelle, de vie sociale… de plein d’autres choses, qui réduisent les inégalités socioculturelles.

Cette précarité, elle touche aussi les classes moyennes désormais ?
SB : Oui, totalement. On a beaucoup d’étudiants de classes moyennes qui sont dans des situations de précarité, voire carrément de pauvreté, notamment à cause de certains mécanismes d’aides sociales qui les exclus de la bourse, en prenant en compte les revenus des parents, mais pas leur situation individuelle.

La FAGE a inauguré sa 40ᵉ AGORAé en France ce 4 octobre 2023. En êtes-vous fière ?
SB : Fier de permettre aux étudiants de s’alimenter correctement et d’avoir un espace d’accompagnement social, d’expression, de lutte contre l’isolement, oui. Fière de mobiliser autant de bénévoles tous les jours, alors qu’ils sont eux-mêmes étudiants, pas tellement parce qu’on se rend compte de plus en plus qu’on porte la lutte contre la précarité, avec d’autres associations, et que le gouvernement se dédouane complètement de ses responsabilités.

Ces épiceries solidaires ont-elles vocation à disparaître ?
SB : Effectivement, ce qu’on espère le plus, c’est qu’on puisse les fermer ces AGORAé, en tout cas pour la partie épicerie, et qu’elles ne soient que des lieux de vie et des tiers-lieux culturels. Le but, c’est aussi de pouvoir accueillir tous les étudiants, y compris en étant ce premier guichet d’accès aux droits et aux aides. Mais on se rend compte maintenant que ces structures, qui avaient été créées pour répondre à des situations ponctuelles, perdurent. Maintenant, on les accompagne, mais à la sortie, ils en ont toujours besoin, puisque les aides ne permettent plus des conditions de vie dignes.

L’existence de ces structures, n’est-ce pas une défaillance importante de notre système ?
SB : Si ! Le fait qu’elles augmentent, qu’il y en ait de plus en plus, et surtout qu’elles soient existantes depuis si longtemps, ça marque une défaillance. Qu’une association puisse déceler un besoin social, à un instant T, le prendre en charge, le faire remonter et que cela devienne ensuite une mission d’un service public, et que les moyens soient mis, ça paraît être dans l’ordre des choses. Par contre, là, les AGORAé ça fait 12 ans qu’elles existent, 30 ans que du côté de la FAGE, on demande une réévaluation des bourses, que les Restos du Cœur et Le secours populaire agissent et alertent tous les ans… 
Donc, on est là, selon nous, dans un choix politique de ne pas agir et de subventionner des assos pour le faire à la place, en sachant qu’on ne paye pas les gens, puisqu’ils sont bénévoles. Là, on est quand même dans une situation où on a des étudiants qui n’ont pas de logement, qui dorment dans leurs voitures, qui sautent des repas… c’est une urgence sociale au sens globale, et qui en plus crée des gens qui ne réussissent pas leurs études. Et donc qui ne sont même pas un investissement rentable pour l’État.

Le gouvernement ne vous entend pas ?
SB : On en a l’impression en tout cas, d’avoir un gouvernement et donc un président qui n’écoute pas ce qui se passe et qui globalement n’est pas sensible à l’urgence sociale qu’on est en train de dépeindre, à la sonnette d’alarme qu’on est en train de tirer, avec toutes les organisations. Mais c’est ce qu’on a vu sur plein d’autres sujets. On s’est mobilisé pendant la réforme des retraites et globalement le climat social donnait la même situation. Donc, est-ce qu’on se sent écouté, non. Depuis trop longtemps la situation s’aggrave, et en plus sur des mesures qui sont possibles à mettre en place. On a quand même un gouvernement qui met en place le Service national universel et qui dans le même temps n’est pas capable d’améliorer les aides aux étudiants.

Les AGORAé c’est un projet national, mais comment les épiceries s’intègrent-elles dans la vie locale ?
SB : On collabore avec des structures spécifiquement étudiantes, bien entendu (les services de santé universitaires, services d’orientation…) mais on collabore aussi très régulièrement avec les CCAS des villes [Centre Communal d’Action Sociale], qui ne sont pas exclusivement réservés aux étudiants, les comptoirs citoyens, qui permettent de se faire rencontrer d’autres publics, les foyers de jeunes travailleurs, […] Et souvent aussi, on essaye de mobiliser des associations très locales sur différentes thématiques (accès aux droits, sexualité…) Souvent le but, c’est de guider les étudiants depuis un lieu central, vers des expertises qui existent déjà ailleurs.

Il y a une volonté de votre part d’éduquer à une certaine forme de vie citoyenne ?
SB : Oui, il y a de ça. On part de l’alimentation, mais c’est aussi un moyen de transformation de pratiques. Cela nous amène souvent à parler de mode de production, de sécurité sociale, de l’alimentaire, de culture démocratique, de ce qu’on consomme et de ce que cela implique. Souvent, on parle aussi de citoyenneté, en particulier en années d’élections. Plus généralement, les personnes qui viennent à l’AGORAé sont sensibilisées à l’engagement, et cela permet de perpétuer ce fonctionnement. Et ça crée globalement une société.

Dans vos pratiques comme dans vos principes, vous défendez l’écologie et la justice sociale. Est-ce que le capitalisme est compatible avec l’écologie ?
SB : Je pense qu’on a un réseau qui est très pluraliste. Je pense qu’on n’aura pas une position tranchée. En tout cas, dans la forme que cela prend maintenant, en termes de transition écologique, je pense qu’il n’y aura pas de débat. Ben oui, on ne peut pas se battre pour l’écologie si on a de grandes multinationales qui, globalement, capitalisent tous les moyens pour le faire et qui n’appliquent pas les changements. Sur cette vision-là, effectivement, on se bat forcément contre toutes ces dérives-là. Après est-ce que la FAGE est actrice et porte des positions pour impulser ces changements… On le fait à certaines échelles, mais ce n’est pas une position qu’on revendique en numéro 1. Mais ça rentre complètement dans le schéma de ce qu’on porte.